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Dans ma brumeuse forêt de "Solibertude"
"s'il te plaît, dessine-moi un arbre"

La princesse Riquiqui ,
A.de Saint-Exaspéré


Elle m'a demandé de lui dessiner un arbre
Mais dans ma forêt tout la laisserait de marbre
Juste d'antiques saules en pleurs
D'archaïques chênes en sueur...
Alors de ma plus belle main
J'ai tracé un bouquet de petits sapins saphirs
À fin de le lui offrir...

Mais elle était partie

Le lendemain
Je désirais lui dessiner un jardin
Mais dans mon coin
Aucun parc ne convient
Juste un terrain vague à l'âme
Un triste bosquet sans flamme...
Alors de ma plus belle main
J'ai croqué un petit Versailles
Dont j'ai gommé les murailles
Les broussailles
De sorte que dans les allées
Elle puisse à son aise se balader
Flâner musarder...

Mais sans le regarder elle s'en est allée

Un jour après
On m'a conseillé de lui dessiner un village
Mais dans le voisinage rien qui encourage
Pas de château de villa de chalet
Pas de divins pâturages ou de verdoyants paysages
Juste de cafardeuses chaumières en ruines
De sombres usines à la mine chagrine
Des rigoles de crasse
Des orties pourries
Des cannettes rouillées
Écrabouillées….
Alors de ma plus belle main
J'ai esquissé une charmante
Avenante et luisante avenue
Cherchant à choyer
La belle ingénue
J'ai colorié de soleil toute la rue...

Mais sur cette avenue
Elle n'est jamais venue.
(NDLR : zaï,zaï,zaï,zaï -cf.Jo Dassin :-)

Le mois suivant
J'ai pensé dessiner un pays pour lui plaire
Mais sur ma terre c'est le néant
Juste des bourgades sales et encombrées
Des près sans chants des champs sans blé
Des clôtures d'épines des haies de barbelés
Et en tout lieu «allez-vous-en ! c'est privé !»
Des heurts des cris …. ils sont cinglés
Ils ont tout gâché
Cela ne saurait la satisfaire...
Alors de ma plus belle main
Sur le papier j'ai créé un joli terroir
Avec des rivières et des lacs aussi clairs que des miroirs
Avec des forêts enchantées de riches campagnes vertes et blondes
Des vergers chargés de fruits charnus des fossés garnis de baies juteuses
Dans ce tableau j'ai mis des sentiers fleuris des chemins aux odeurs de pins
Les horizons idylliques et les montagnes mirifiques y abondent
J'y placerai des flots d’émeraudes des ciels radieux des …

Mais je n'ai pu le lui montrer
Je n'avais pas terminé
Elle s'était déjà éloignée

Comme sans cesse
Elle me laissait en plan
J'ai voulu lui dessiner un continent
Mais rien dans mon monde ne pourrait l'attirer
Juste des déserts portant le sable de la discorde
De vilaines contrées où même les vieillards se mordent...
Alors de ma plus belle main
J'ai ébauché un îlot de plages
Et de fleurs sauvages
Sur tout le pourtour
Sur des galets de velours
J'ai placé de beaux coquillages dorés
Qu'elle aimera ramasser

Mais à nouveau mes bons amis
Invariablement,
Elle s'en est allée
Riant et se moquant

Au bord du désespoir
J'ai cru devoir lui dessiner un univers
Mais dans notre cosmos que peut-elle vénérer ?
Sur une voie de moins en moins lactée
Il n'est que pauvres guimbardes de l'espace
Démodées toutes rongées
Juste des anges ivres ou camés
Regardant notre sphère avec dédain….
Alors de ma plus belle main
Dans une immensité calme confiante
Grandiose
J'ai dessiné le silence
J'ai placé ça et là des astres irisés
Des planètes brillantes étincelantes
Et en apothéose
Ces étoiles si chatoyantes si parfumées
Qui lui étaient destinées…

Et là à toutes jambes
Elle s'est enfuie

Et j'ai pensé me suicider
Et que le diable m'emporte
Et je me suis saoulé
Et j'ai gémi
Et j'ai sangloté
Et j'ai crié
Et j'ai hurlé

À la fin de cette terrible nuit
Juste un petit bruit...
Ce cliquetis obscur
D'une clé dans une serrure
Et tu étais là
Devant la porte

Alors tu m'as dit
De te dessiner un logis
Et sur mon bloc tout chiffonné
À la hâte
J'ai de suite crayonné
Une tasse de café
Du feu dans la cheminée
Un chat dans son panier…
Tu es restée
Moi, je me suis enfui !


 "Un arbre n'est jamais plus vrai
que dans le rêve de ce jardin fou
qu'on invente"
 
Claude Estéban



Texte et illustration : Jacques Goffin

In 'Du fond de l'amphore", PDF 1-18, 2015

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