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Quand passent les cigognes
Ce jour là, levés aux premiers cocoricos, nous nous sommes dit que nos poussins devaient sortir du nid ; en vraie mère poule, leur maman, les couvait depuis trop longtemps ; il était temps qu’ils cassent la coquille et volent de leurs propres ailes à travers la ville. Aussi envahissant qu’une bande d’étourneaux, babillant sans cesse, nous migrions ensemble vers quelques beautés urbaines, passant la matinée à picorer les merveilles que cachent différents quartiers !
Midi ! Les oisillons pinaillent, les gésiers jabotent, fallait becqueter ! j’ai parqué notre vieux rossignol juste devant un resto. Dans l’empressement, mi frondeur, mi tête de linotte, mi cervelle de canari , je laisse ma cage sous un panneau d’interdit.
Comme de beaux bandits, nous venions à peine d’entamer une cuisse de faisan quand par quelque triste hasard … coucou, qui voilou tout au fond de la rue ? Deux hirondelles aux yeux de faucon – bien que j’hésite sur le qualificatif -, chevauchant ardemment leur bécane : un vieil hibou cruel, le regard vif, en quête de mimis piafs au doux pioupiou à serrer dans ses griffes acérées, accompagné d’un perdreau de la veille, fier comme un paon sur son deux roues ! Des vautours cherchant leur proies , et, l’alouette à plumer, cette fois … ce devait être moi !
Cessant de bayer aux corneilles et tout en turlutant intérieurement quelques noms d’oiseaux relatifs à ces deux toucans, vite, feignant l’innocence d’une naïve colombe, je fonds tel l’épervier sur ma caisse prévoyant un envol à tire d’aile avant d’y laisser jusqu’à mes derniers plume et duvet.
Trop tard ! Mon plan établi à la volée avait force plomb dans l’empennage ! Merle alors ! les deux manchots bleus, l’harpie féroce et son hypocrite blanc-bec, faisaient le pied de grue devant le « véhicule contrevenant » ; sans attendre, de leur plus belle plume, ils me pondaient déjà d'impondérables et méprisantes ardoises au sein de leur ridicule petit carnet grivelé … Comme un écho sourd venu d’un étang lointain, un chant de cygne me trompette dans l’oreille «  t’es cuit ! … un comble : rôti par la poulaille !»
Offusqué comme un coq, qui généralement ne s‘émeut de rien, devant ma progéniture, je me devais de défendre bec et ongles mon droit de nicher mon char une petite minute où bon me semble ! Mais pas question d’avoir mon matricule dans le premier canard à trorcher du lendemain … Inutile de voler dans les plumes de flics.. valait mieux faire tête basse et montrer tant la blancheur que l’ignorance d’une oie débile «  heuuuuu ...Bonjour messieurs de la basse-cours, mais que faites -vous là ? Ciel…. Que vois-je à l’instant  : ilyavaitunpanneaudinterditcachésouslessarbres… et moi qui viens juste d’atterrir, j’l’ai pas vu votre miroir aux alouettes … j’ai à peine pris le temps de déposer mes tourtereaux et je décolle aussitôt… Ah non, s'vous plaît, soyez chouettes, vous n’allez pas me coller un plumeau au chapeau pour si peu … » « Inutile de faire l’autruche, z’êtes en faute et dans nos filets ; vous casez votre œuf aux pneus lisses, on fait l'omelette ! bon appétit ! » me siffle l’imperturbable grand duc  - et l’autre mini cacatoès, dressé sur ses ergots, de seriner de plus belle la "bouboule" du rapace pouilleux en poussant des cris d’orfraie ! Drôle d’oiseau cette bécasse ! De plus, il pue du bec !
Peine et plumes perdues, mon ramage ne sert à rien et sans autre bavardage, les pies en uniforme me collent aux ailes le papier tant redouté ! Re-ciel, l'attaque de ces casoars à casques risque de me piquer jusqu’à ma dernière graine … moi qui suis déjà rasé comme la coquille d'un coco neuf ! 
« Ben là, toi qui voulais nous monter comment voler dans la vie, tu t’es fait un brin pigeonner, mon papounet ! » ironique gazouillis de mon aînée !
Bien que penaud, pris le bec dans l’eau comme un vilain petit canard, le ramier ne put que roucouler : « Avec les poulets, tu finis toujours par être le dindon de la farce, ma cocotte ! »
Texte et illustration :Jacques Goffin

in "Du fond de l'amphore", PDF 7-22, 2020

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